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L'Empire Khmer


L'Empire khmer (en khmer « ចក្រភពខ្មែរ ឬ អាណាចក្រខ្មែរ », officiellement l'Empire d'Angkor) était une des puissances dominantes de la péninsule indochinoise du ixe au xiiie siècles. L'Empire succède au royaume de Chenla, et sa fondation est daté conventionnellement en 802, lorsque le roi Jayavarman II se déclare Chakravartin, "Roi des rois".

Le site archéologique d'Angkor témoigne aujourd'hui de la puissance, de la richesse et du raffinement culturel de l'Empire khmer à son apogée. Les religions officielles furent successivement l'hindouisme, le bouddhisme mahāyāna et enfin le bouddhisme theravāda.

Origine

À ce jour, les plus anciennes traces des origines de l’empire ont été découvertes sur le site du temple de Sdok Kok Thom, dans la province thaïlandaise de Sa Kaeo. Une stèle, datée de 1053, énonce la chronologie des anciens souverains khmers, depuis l'accession au trône de Jayavarman II en 802 de notre ère, jusqu'à Udayādityavarman II (1050 – 1066).

Jayavarman II, au ixe siècle, introduit le culte du dieu-roi (Devaraja) dans le brahmanisme. Désormais, le roi est la représentation de Shiva, un des dieux de la trinité brahmaniste (Brahmā, Vishnou, Shiva). Le souverain doit être adoré comme une divinité, avec des rites formels. Shiva et le dieu-roi partagent d’ailleurs le même symbole religieux, le lingam phallique.

D’après une ancienne interprétation, Jayavarman II aurait été un ancien prince qui vécut à la cour de Sailendra à Java (dans l'actuelle Indonésie) et en aurait rapporté l’art et la culture lors de son retour au Cambodge. Des recherches plus récentes conduites notamment par Claude Jacques et Michael Vickery remettent toutefois en cause cette théorie. Alors que l’influence javanaise se faisait déjà sentir sur la majeure partie de la péninsule, la carrière politique de Jayavarman aurait débuté à Vyadhapura, probablement Banteay Prey Nokor, près de l’actuelle ville cambodgienne de Kompong Cham ce qui lui aurait assuré des contacts de longue date (même si les inscriptions ont montré que ces relations étaient houleuses) avec les voisins Chams plutôt qu’un long séjour dans la lointaine Java. Finalement beaucoup de vieux temples du Phnom Kulen sont de style cham (tel Prasat Damrei Krap) ou javanais (comme Prasat Thmar Dap), même si leur disposition asymétrique est typiquement khmère.

Après son éventuel retour au Chenla, il gagna rapidement de l’influence par la conquête de plusieurs états voisins et, en 790, prit la tête d’un royaume que les Khmers appelaient « Kambuja ». Dans les années qui suivirent, il étendit encore son territoire et établit une nouvelle capitale à Hariharalaya, près de l’actuelle commune cambodgienne de Roluos. En 802, il fait célébrer sur le Mahendraparvata un rituel magique d’inspiration hindouiste, que décrit la stèle de Sdok Kok Thom, par lequel il s’autoproclama chakravartin (« roi des rois ») et libéra le Cambodge de la tutelle de Java. Il ne devint ainsi pas seulement un souverain incontesté de droit divin, mais il marquait aussi l’indépendance de son royaume. Jayavarman II s’éteint en 834 et son fils Jayavarman III lui succède qui, à sa mort en 877 est à son tour remplacé par Indravarman Ier.

Yasodharapura – la première cité d’Angkor

Les successeurs de Jayavarman II poursuivirent le développement du royaume de Kambuja. Indravarman Ier (qui régna de 877 à 889) arriva à étendre le pays sans guerre et commença une politique de construction massive pour remercier les dieux d’avoir apporté à l’empire la prospérité du commerce et de l’agriculture. On lui doit notamment d’importants travaux d’irrigation et la construction du temple de Preah Kô. Son fils Yasovarman Ier lui succéda de 889 à 915 et fonda une nouvelle capitale à Yaśodharapura, la première cité d’Angkor, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest d’Hariharalaya.

Au sommet du Phnom Bakheng, une colline qui surplombe d’une soixantaine de mètres la plaine d’Angkor, il fit ériger un temple-montagne. Pyramide à cinq degrés et cent neuf tours, il s’agit d’une représentation du mont Meru, centre de l’univers et séjour des dieux dans la cosmologie indienne.

On doit aussi à Yasovarman I le Baray oriental, un immense réservoir d’eau de 7,5 sur 1,8 km.

Au début du xe siècle, le royaume part en décrépitude et alors que Harshavarman Ier puis son frère Isanavarman II règnent à Angkor, un de leurs oncles, Jayavarman IV, se proclame roi à Koh Ker avant, à la mort de ses neveux, de diriger l’ensemble du pays depuis sa nouvelle capitale.

Cette période est marquée par l’avènement d’un style architectural aux formes gigantesques auquel Koh Ker donnera son nom et dont le Prasat Thom, un temple montagne de 30 mètres de hauteur, est l’élément le plus représentatif.

Yaśodharapura retrouvera toutefois son statut de capitale sous Rajendravarman II, neveu de Yasovarman I et roi de 944 à 968. Celui-ci perpétua sur le site la tradition des grands travaux de ses ancêtres et on lui doit notamment le Mébon oriental, situé sur une île au milieu du baray oriental, le Prè Rup et de nombreux autres temples et monastères. Dans ce contexte éclate à l’est, en 950, la première guerre avec le royaume de Champā, qui se conclura par une victoire khmère

Sous ce règne, certains dignitaires accroissent leur influence ; cet ascendant se caractérise par une multiplication de constructions de monuments grandioses dont le joyau sera Banteay Srei, fondé en 967 par le brahmaneYajnavaraha, guru du futur Jayavarman VII.

En 968, Jayavarman V succède à son père, Rajendravarman II. Après avoir établi sa suzeraineté sur d’autres princes, son règne sera une longue période de paix, marquée par la prospérité et un essor culturel. Il établit une nouvelle capitale, Jayendranagari, près de Yaśodharapura et s’entoura de philosophes, de lettrés et d’artistes.

La mort de Jayavarman V, vers 1001, ouvre une nouvelle phase de troubles, où plusieurs souverains feront de courts règnes avant d’être supplantés par leurs successeurs. Cette période semble se clore avec l’arrivée au pouvoir, vers 1010, de Suryavarman Ier.

Même s'il eut à essuyer plusieurs tentatives de coups d’État, il put mener une politique de conquêtes militaires qui lui permirent d’étendre son royaume jusqu’à l’actuelle ville thaïlandaise de Lopburi à l’ouest et l’isthme de Kra au sud. Durant son règne, qui s’acheva en 1050, débuta la construction du Baray occidental, le second réservoir d’eau encore plus grand que le premier (8 kilomètres par 2,1).

La fin du xie siècle fut une nouvelle période de conflits et de luttes de pouvoir sanglantes qui ne s’achevèrent que sous Suryavarman II, au pouvoir de 1113 à 1150 et qui parvint à unifier son royaume en interne. La construction du temple d’Angkor Vat, dédié au dieu Vishnou prit 37 années. Dans le même temps, l’empire s’agrandit, à l’ouest en intégrant l’état Mônd'Haripunchai (dans le nord de l'actuelle Thaïlande) et certaines zones frontalières du royaume de Pagan (de nos jours la Birmanie), à l’est en annexant plusieurs provinces du Champā, au sud en investissant la péninsule malaise jusqu’au royaume de Grahi (correspondant à peu près à l’actuelle province thaïlandaise de Nakhon Si Thammarat) et enfin au nord en poussant jusqu’au sud du Laos contemporain.

La fin de Suryavarman II n’a pas été clairement définie à ce jour. La dernière inscription se référant à lui traite d’un plan d’invasion du Đại Việt auquel il aurait participé en 1145. On suppose qu’il est décédé lors d’une de ces expéditions militaires, entre 1145 et 1150.

Une nouvelle période de troubles suit la mort de Suryavarman II, où les règnes sont brefs et les souverains déposés par leurs successeurs. Finalement le Kambuja sera défait en 1177 par l’armée Cham lors d’une bataille navale sur le lac Tonlé Sap, et deviendra une province du Champā.

Jayavarman VII et Angkor Thom

Fils de l’ancien roi Dharanindra Varman II, le futur Jayavarman VII qui régna de 1181 à 1219 était un prince à la tête d’un fief proche de Kampong Svay (dans l’actuelle province de Kampong Thom) ; Yaçovarman II l’envoya au Champā en tant que chargé militaire et il y était lorsque le souverain khmer se fit déposer par Tribhuvanâditya-Varman et il ne retourna que bien plus tard dans sa principauté.

En 1177, après la prise d’Angkor par les Chams, il réussit à réunir une armée et à reconquérir la capitale.

Il accéda au trône et continua la guerre contre ses voisins de l’Est jusqu’en 1203 et la défaite du royaume de Champā qui dut céder une partie importante de son territoire.

Mais si Jayavarman VII est connu comme le dernier grand roi d’Angkor, c’est surtout pour les grands travaux réalisés durant son règne, notamment la nouvelle capitale, baptisée Angkor Thom qu’il a créée.

Des recherches récentes par satellite ont révélé qu’Angkor Thom – dont la population était estimée à un million d’habitants - était étendu sur plus de 1 000 kilomètres carrés ce qui en fait le centre urbain connu le plus vaste du monde préindustriel.

Au centre, le roi, adepte du bouddhisme mahāyāna, construit le Bayon, avec ses tours de pierre symbolisant des visages monumentaux du Bodhisattva Avalokiteśvara. D’autres temples importants datent de la même époque, tels Ta Prohm, Banteay Kdei ou Neak Pean, ainsi que le réservoir de Srah Srang.

Le réseau routier fut développé afin de connecter toutes les villes de l’empire entre elles. Sur ces routes, 121 gites d'étape furent créés, pour les marchands, les fonctionnaires et les voyageurs. Enfin, 102 hôpitaux furent disséminés sur l’ensemble du territoire

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Les derniers éclats

À la mort de Jayavarman VII en 1219, son fils Indravarman II monte sur le trône et règne jusqu’en 1243. Bouddhiste comme son père, il achèvera la construction de plusieurs temples. En tant que chef de guerre, il sera moins heureux et, en 1220, sous la pression conjuguée du Đại Việt et de ses alliés chams, l’empire doit restituer la plupart des territoires précédemment conquis au détriment du Champā. À l’ouest, les sujets thaïs se rebellent, fondent le premier Royaume de Sukhothaï et chassent les Khmers. Dans les 200 ans qui suivent, les Thaïs devinrent les principaux rivaux du Kambuja

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Jayavarman VIII succède en 1243 à Indravarman II. Contrairement à ses prédécesseurs, il est adepte de Shiva et impose un retour à l’ancienne religion de l’empire. Il convertit de nombreux temples bouddhistes en sanctuaires hindouistes. Sur le plan extérieur, le pays est menacé en 1283 par les armées mongoles de Kubilai Khan qui dirigeait alors la Chine. Le roi évita la guerre avec son puissant voisin en acceptant de s’acquitter d’un tribut annuel. Le règne de Jayavarman VIII prend fin en 1295, quand il est déposé par son gendre Indravarman III qui conservera le trône jusqu’en 1309. Le nouveau roi est un fidèle du bouddhisme theravāda, introduit depuis Sri Lanka et qui s’imposera rapidement dans toute la région.

En août 1296, le diplomate chinois Zhou Daguan arrive à Angkor et restera à la cour d’Indravarman III jusqu’en juillet 1297. Il ne fut ni le premier ni le dernier représentant chinois à y résider, mais son séjour est resté célèbre car il rédigea plus tard un rapport détaillé sur la vie à Angkor. Son portrait est aujourd’hui encore la principale source permettant de comprendre Angkor du temps de sa splendeur. À côté de la description de plusieurs grands temples (le Bayon, pour lequel on lui doit de savoir que les tours étaient recouvertes d’or, le Baphûon, Angkor Vat) le texte est une mine d’informations de qualité sur la vie quotidienne, les us et les coutumes des habitants d’Angkor.

Déclin et chute

Peu de données sont disponibles de nos jours sur la période qui a suivi le règne d’Indravarman III. La dernière inscription connue se trouve sur un pilier et date de 1327. Plus aucune construction monumentale ne semble pas avoir été entreprise dès lors.

À l’ouest, le Royaume d'Ayutthaya soumet vers 1350 celui de Sukhothaï qui venait de s’affranchir de la tutelle khmère, puis lance plusieurs attaques contre la capitale.

La capitale est conquise en 1352 ; ses habitants sont déportés et le pays est placé sous l’autorité siamoise. Les Khmers parviennent à se libérer, mais Angkor doit à nouveau subir les assauts des armées d’Ayutthaya en 1394, 1420 et 1431. Pour échapper à ces raids, le roi Ponhea Yat décide de quitter sa capitale en 1432 pour Srey Santhor, puis, en 1434, s’installe à Chaktomuk, sur le site de l’actuelle Phnom Penh. Ang Chan Ier l’abandonnera à son tour pour s’établir à Lovek.

Au xvie siècle, le roi Barom Reachea Ier (1566 – 1576), profite des difficultés siamoises (Ayutthaya est mise à sac par les birmans en 1569) pour retourner installer la capitale à Angkor, mais l'embellie sera de courte durée.

Le danger birman écarté, le roi d'Ayutthaya Naresuan investit l’ouest de l’empire khmer, prend Lovek, en déporte la population et fait transférer les trésors de la ville. Privé de ces attributs, censés avoir été offerts par les dieux afin de protéger le royaume, l’empire khmer entre définitivement dans une période de récession.

Une légende veut d’ailleurs que lors de cette conquête, les armées siamoises aient jeté des pièces d’argent au pied des fortifications avant de faire mine de se retirer. Les Khmers ont alors démonté les murs de bambou afin de récupérer cette monnaie, laissant leur ville sans défense quand les envahisseurs sont revenus. Ce mythe semble symboliser une chute qui doit plus à la faiblesse de l’empire khmer qu’à la puissance du Siam.


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